PROSPER III TEISSERENC,   Mon Père

  

 PAR MADELEINE DE FOZIERES 

         

SA JEUNESSE, DE 1900 à 1928 :

          Prosper Teisserenc est né à Lodève dans la maison familiale, 3  Avenue de la République, le 7 octobre 1900, 10 e enfant d’une famille de 12. A sa naissance, sa grande sœur Amélie (8 ans !) s’écria : « Quel joli petit bichon ! » Le surnom était donné. Il le garda très longtemps. Dans une lettre à notre grand mère datée de 1927 le régisseur du domaine de Plagnol  [1] , en parlant de Papa, le nomme « Monsieur Bichon »

            Il commence ses études à Montpellier, les poursuit au collège St-Joseph d’Avignon et ensuite à Sarlat (Dordogne) , au collège des Jésuites où il rejoint son frère Hervé.

            En 1918, il fait six mois de Service Militaire. Il est réformé en raison de sa forte myopie.

            En 1919, il entre à l’École  Supérieure d’Agriculture  de l’Université Catholique de l’Ouest à Angers [2](son frère Hervé l’y rejoindra en 1920 une fois démobilisé).

            A l’issue de ses études, il aide son Père dans la gestion des propriétés de Madières, Combefère et Plagnol. En même temps il s’occupe de la Jeunesse Catholique de Lodève. Doué d’une très belle voix et de talents de comédiens, il se dévoue lors des fêtes de cette Association et obtient un vif succès.

 

MARIAGE ET INSTALLATION A SAINT GENIES LE BAS :

             Le 9 octobre 1928, il épouse Charlotte BELLET, fille d’un propriétaire-viticulteur, à Pouzolles.

            Dès la fin de la construction de leur grande maison, en 1930, le ménage s’installe à Saint Genies- le - Bas. Précurseur en agriculture, il fit faire par le charron du village la première charrette à pneus. Il modernise la cave : installation de l’électricité et d’une presse hydraulique, réfection du réseau de distribution du vin avec tuyaux en cuivre et robinetterie en bronze.

En même temps, il s’intéresse à la vie du village et fonde en 1935 la Cave Coopérative.

            En 1939, son beau-père lui offre la propriété de polyculture de Feilhès , à côté de Salles sur l’Hers,  à l’extrême ouest du département de l’Aude. Cela lui permettra   d’y installer  sa nombreuse famille pendant une partie de la guerre (39/45) , trouvant ainsi une solution au problème de ravitaillement si difficile à résoudre dans cette période de pénurie.

            Au décès de son beau-père, en 1941, il assume la gestion de la propriété de Pouzolles. La maison, construite dans la perspective d’une famille nombreuse se remplit comme prévu : onze enfants y sont nés de 1929 à 1949 ! 

 

            LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE : 1939 - 1945

          En 1940, Prosper Teisserenc devint maire de St-Genies le Bas. Il n’a pas été élu mais nommé par le préfet de Montpellier. Il n’a pas connu la guerre comme combattant, mais comme responsable d’une population désemparée et affamée. Il s’est employé de tout son cœur à remplir ses fonctions dans des temps particulièrement difficiles. Ce fut une lourde tâche. Il paya de sa personne en assurant le ravitaillement de ses administrés : il se rendait fréquemment dans l’Aveyron et dans la Creuse, à la recherche de fournisseurs de pommes de terre. Que de nuits blanches passées en gare de Guéret pour assurer la garde de ces fameuses pommes de terre !

 La nuit (tous les chats sont gris) , il se rendait à Béziers , avec sa camionnette à « gazogène » et, en échange de quelques bonnes bouteilles, il obtenait des sacs de céréales qu’il allait faire moudre - également la nuit ! - chez un minotier de St-Nazaire d’Aude. Il faisait garder la boulangerie pour que les habitants des villages voisins ne viennent profiter de ce pain si durement acquis.

L’accueil des réfugiés fut un des premiers problèmes à résoudre. Prosper Teisserenc, donnant l’exemple, suscita dans la population un grand élan de générosité, mais certains conflits étaient inévitables. Nous nous rappelons les arrivées impromptues de Blasco (le garde-champêtre  qui lui était entièrement dévoué) pendant les repas, venant le supplier de monter « illico presto »  au village pour régler un litige. Il voulait être parfaitement juste avec tout le monde, aussi, un jour, ne disposant à la mairie que d’un seul « bon de chaussures [3] » pour la population il réunit cette dernière et jeta le « bon » dans la foule  du haut du balcon de la mairie !

            Il y avait dans le village - comme à Lodève - une grande dévotion à St-Fulcran. Les Habitants firent le vœu que si les Allemands n’occupaient pas le village, un monument à la gloire de St-Fulcran, serait érigé en reconnaissance. Ce vœu fut exaucé ; à la fin de la guerre, Papa donna une parcelle de terrain à proximité de la chapelle de St-Fulcran pour que soit érigée, en signe de gratitude, la statue que nous vénérons encore aujourd’hui.

            A la fin de la guerre, il fut prié de se démettre de ses fonctions de maire, ce qu’il fit avec un grand soulagement.

 

L’APRÈS GUERRE : 1945 - 1976

 A l’issue de la guerre, il se consacre entièrement à la gestion de ses propriétés. En 1946, il vend la propriété de Feilhes.

Ensuite vint pour lui, la plus grande épreuve : la perte de la vue à la suite de l’opération de la cataracte du premier œil. Il ne voulait pas se faire opérer du second. A ce moment là, Monique et Régis (grâces leur soient rendues !) qui habitaient le Tarn, près de Réalmont, lui conseillèrent de se faire opérer à Albi par un ophtalmologue de grande réputation. Ce qui fut fait avec succès. Quel bonheur pour lui de recouvrer la vue, après des années de cécité.

            En 1974, il donne en fermage à deux de ses fils : Prosper et Louis-Marie les propriétés de Pouzolles et de St-Genies. Il prend alors sa retraite.

Comme son père, il avait le cœur fatigué. Il en était conscient. Il savait qu’il ne jouirait pas d’une longue vieillesse.

Il s’éteignit le 12 septembre 1976 à St-Genies le Bas.

  

            QUELQUES TRAITS DU PERSONNAGE

             Mon Père était très accueillant : sa maison était la maison du Bon Dieu, très généreux, on l’a vu particulièrement pendant la guerre. Un témoignage, parmi d’autres, de sa générosité mérite d’être cité : un jour, à Montpellier, il rencontre Baptiste, l’ancien chauffeur/jardiner de son beau-père, qui était désemparé, venant de perdre son emploi et son logement. Alors, il lui dit : « Viens à St-Genies, on verra après… » Il est resté à la maison jusqu’en 1958, date de sa mort, soit une quinzaine d’années, faisant partie de la famille…

            Toute sa vie il a été fidèle au Conseil d’Administration  de l’Ordre des Sœurs Guichaut à Lodève. C’était une Œuvre que lui avait confiée son père.

            Il aimait rendre service : pendant sa jeunesse, souvent, Madame Leroy-Beaulieu lui demandait d’être son chauffeur. Il était intarissable sur ses trajets à Montpellier avec arrêt à l’Hôtel Métropole où il fallait charger une pleine voiture de paquets de toutes sortes ;

Il aimait également rendre service à l’oncle Gabriel de Fozières (le grand père de Géraud) à Fozières. Il y faisait de fréquents séjours , lui tenant compagnie, récitant l’Office avec lui, et le secondant dans toutes ses activités. Nous connaissions bien, grâce au récit de toutes sortes d’anecdotes, cette branche de la famille.

            Catholique pratiquant, il n’a jamais mis sa foi en veilleuse. Les coups durs ne lui ont pas été épargnés : à une certaine époque , grêle et gelées s’acharnaient sur son vignoble, sans parler de la mévente des vins. Il assumait tous ces soucis avec une grande résignation, et une confiance inébranlable dans la Providence. Cette confiance ne l’a pas quitté durant toute la maladie de Maman. Il était fidèle à l’écoute des Conférences de Carême, disait l’Office, récitait le chapelet, faisait des retraites à Lamalou-les-Bains. Enfants, nous étions toujours émus lorsque nous l’entendions chanter de sa belle voix le « Minuit Chrétiens » à la messe de minuit du village.

Très populaire, il aimait les réunions de famille. Il avait d’ailleurs un très grand esprit de famille n’hésitant pas à traverser la France entière pour assister à un mariage ou à un enterrement.

            Très jovial à l’extérieur, il était très austère et d’une grande rigueur dans le privé, par fidélité aux grands principes qui avaient été les siens dans sa jeunesse : la stabilité, la puissance des règlement, de la hiérarchie, le respect des valeurs à transmettre.

            Son bureau était son refuge. Il y faisait beaucoup de comptes. Il lisait et relisait la vie de son frère Maurice pour lequel il avait une grande admiration. Détail amusant, il consultait souvent l’indicateur des Chemins de Fer « Chaix » et savait par cœur les horaires des trains de notre région !

            Sa distraction favorite était le jeu de cartes. Il aimait nous réunir le dimanche pour la traditionnelle partie de bridge…et beaucoup plus tard, il nous rappelait le Général de Gaulle - dont il avait la stature - lorsqu’il se livrait à d’interminables réussites dans son bureau enfumé, car il était un incorrigible fumeur de pipe.

            Il nous laisse le souvenir d’un père droit, fidèle à ses principes dans tous les aspects de sa vie : vie spirituelle, familiale, sociale, ayant le sens de la convivialité et du partage, agissant avec dévouement, humilité et rigueur, dans le respect des autres.

  Madeleine de Fozières - Novembre 2003

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[1] Important domaine viticole hérité des Fourcade via les Mares.

[2] Fondée par les Jésuites.

[3] Pendant la guerre il fallait des bons ou des tickets pour pouvoir acheter du pain, du beurre, du sucre…des chaussures !