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MAURICE TEISSERENC

1889-1915

 

Les notes ci-dessous sont extraites du livre de la vie de Maurice Teisserenc, écrit par le Père Jean-Baptiste Frey, Directeur au Séminaire Français de Rome, mais elles n’en sont  d'aucune manière un résumé.

Au début du 1e chapitre, l'auteur écrit ces lignes : " La famille Teisserenc compte parmi les plus vieilles et les plus considérées de Lodève; on peut en suivre la généalogie jusqu'au XIVe siècle. Mais plus encore que par son ancienneté et sa situation de fortune, elle s'est imposée à l'estime générale par les traditions de foi, de probité, de charité envers les humbles, qui s'y transmettent comme le plus précieux des patrimoines."

Maurice Teisserenc naquit à Lodève le 26 mai 1889. A 10 ans il est interne au collège du Sacré-Cœur, rue Rondelet à Montpellier, tenu par les Jésuites.

Le 21 juin 1900, il fait sa première communion et a été confirmé le même jour par Mgr. de Cabrières, Évêque de Montpellier.

A quinze ans il écrit à sa mère : " Dieu semble m’appeler à son service et me demander un sacrifice dont j’apprécie chaque jour l’étendue. Je me sens libre, à cette heure, de faire un pas en avant ou en arrière. En arrière, en me laissant bercer au chant d’espoir que sonne un brillant avenir, en laissant le champ libre aux rêves de demain, situation brillante, joies d’un foyer, etc. Oh ! si je m’écoutais, comme je m’engagerais dans la vie du monde ! Et à côté de cela, il me semble que Dieu m’appelle…Donc, il faudra tout sacrifier…tout…, absolument tout ! …Et, ne croyez pas me consoler beaucoup en me disant que ce n’est rien devant la grâce d’un l’appel ! Sans doute, ce n’est rien…Mais je suis un homme, et j’ai passé des heures de douleur rien qu’en songeant aux souffrances que me causerait ce grand pas en avant. "

Il obtient la première partie du baccalauréat latin-grec le 17 juillet 1905, année de la séparation de l’Église et de l’État qui a pour conséquence la fermeture de l’École du Sacré-Cœur que Maurice doit quitter avec regrets pour rentrer avec deux de ses frères, Louis et Hubert ( NDRL. je suppose) , à l’École libre St-Firmin créée pour la circonstance.

Il est reçu bachelier dans la série latin-grec-philosophie le 23 juillet 1906. A la distribution des prix du collège il reçoit le prix d’honneur décerné à l’élève de philosophie le plus méritant.

En septembre 1906 – à 17 ans -, accompagné de son père, il se rend à Paris pour entrer à l’École Bossuet et y préparer une licence ès lettres. " Ah ! ma chère Maman, écrit-il, si vous saviez comme je souffre et comme je suis seul ! Je viens de quitter Papa…j’ai refoulé mes larmes ; je fais encore des efforts désespérés pour ne pas livrer ma douleur en spectacle à tous ceux qui m’entourent ; j’attends que sonne l’heure de la classe et alors, seul avec vous devant ces pages blanches, je me dégonflerai de tout mon cœur…N’attribuez pas ces états d’âme à la surprise. J’avais prévu ces déchirements, car je savais combien je vous aimais, vous et tous ceux que j’ai laissés, et jusqu’à mon grand soleil du Midi ! Or, rien ne compense jusqu’ici cette grande vie du cœur à laquelle je m’étais livré avec toute l’ardeur et tout l’enthousiasme de ma jeunesse. " Il habite rue Bonaparte.

Pendant l’année scolaire 1906/1907 il suit les cours de lettres et de langues au Lycée Louis Le Grand, ainsi que les cours d’Histoire et de Géographie à la Sorbonne. Et l’année suivante il s’inscrit en plus aux cours de droit et de lettres à l’Institut Catholique. En juillet 1908 il est licencié en lettres (en droit en 1910). Passionné d’histoire il suit les cours au Collège de France. " Depuis huit jours je suis absorbé, écrit-il à un ami, par une conférence que je dois faire, en allemand, sur un dramaturge autrichien qui se nomme Grillparzer. J’en ai maintenant plein la tête…Le soir tombe, un beau soir de printemps ; par la fenêtre ouverte, je hume cet air viril des premiers beaux jours qui vous enivre…Grâce à Dieu, il y a encore de bons moments dans la vie ; je goûte un de ceux là en t’écrivant ; je me sens plus près de toi, je songe que tu goûtes, à cette heure, la même impression que moi, impression indéfinissable : Le soir qui tombe a des langueurs sereines… " " J’ai toujours aimé le crépuscule, écrit-il à son frère Louis, car dans les splendeurs du soir agonisant l’œuvre de Dieu apparaît plus belle, et il y a dans le calme immense de cette heure, dans le chœur que forment les sonnailles des troupeaux, mêlées aux notes de l’Angélus, dans la caresse des dernières brises sur les herbes plus fraîches, il y a, dis-je, une prière à laquelle il est très doux de mêler la sienne. "

Pendant les vacances d’été 1907 il entreprend son premier voyage hors de France pour visiter la Suisse avec l’une de ses tantes (NDLR. probablement Henriette Teisserenc). Il tombe sous le charme de la nature avec ses lacs et ses hautes montagnes et visite Genève, Lausanne, Fribourg, Berne, Interlaken d’où il écrit à sa famille " Le pays est admirable…plus haut encore ce sont les neiges ; et les neiges, ce soir, sous le soleil couchant, alors que les vallées étaient déjà dans l’ombre, sont devenues toutes roses ; c’est ce qu’on appelle l’illumination des Alpes. Nous sommes ici dans la nuit, alors que le soleil tombe encore sur les glaciers ; de roses ils deviennent rouges comme des blocs de métal qu’une forge géante, au fond du ciel, aurait rougis ; et puis violets, violet pâle comme une mer de lilas. "

Au cours des congés de 1908, il fait, sous la conduite de M. l’abbé Prévost, l’ancien préfet de l’École du Sacré-Cœur, et en compagnie de plusieurs amis, un voyage en Espagne. " …et c’est parce que son passé fut trop beau et trop facile et qu’elle voulut se contenter des avantages acquis, que l’Espagne est aujourd’hui un pays très en retard sur les autres. "

Dès son entrée à Bossuet, en 1906, et durant les quatre années qu’il passe à Paris, Maurice se dévoue avec ardeur à la Conférence de St-Vincent de Paul ; en 1908, avec son frère Louis, il fait tous les dimanches matin le catéchisme. Au début de la dernière année qu’il passa à Paris, 1909/10, il s’inscrivit à la Conférence Olivaint "  dans un but, dit-il, de préciser mes idées, d’apprendre à les exprimer, à parler en public, à discuter. " " C’est ce que j’ai trouvé de mieux comme cercle d’études, écrit-il à son ami… " Toujours pour se former à l’art de la parole et pour se mêler de plus près au mouvement des idées contemporaines, il suit assidûment la " Conférence de parole publique ", établie à l’Institut Catholique de Paris et y prend une part très active. Mais c’est surtout à la rédaction de la Vie Nouvelle, organe hebdomadaire de l’Association, qu’il apporte un concours actif et très apprécié. Les articles se succèdent, alertes, incisifs, animés d’un souffle religieux profond ; sa plume, tantôt caustique, tantôt grave, traite les sujets les plus variés : les évènements du jour, les théories à la mode, les problèmes généraux qui se dressent devant les catholiques français…

Toujours hanté par sa vocation sacerdotale et la gravité de la décision à prendre il écrit à l’un de ses correspondants : " Pense à moi parfois, prie afin que j’aie vaillance et pureté dans le chemin de la vie, fermeté et générosité ! Prie pour que j’aie la lumière et aussi la force d’accomplir la volonté divine ; prie pour que je ne recule pas devant le sacrifice, pour que je sache prendre, quand l’heure aura sonné, une décision définitive. " Le 13 janvier 1909, il profita du passage à Paris de Mgr. de Cabrières pour lui ouvrir son âme et celui-ci lui conseilla le Séminaire Français de Rome ce que ses parents acceptèrent spontanément.

D’octobre 1910 à 1912 c’est le service militaire, comme 2e classe, au 142e d’infanterie à Lodève. Il se fait prévenant, serviable, presque familier, lui qui, par caractère, était plutôt hautain et distant ; il évite de faire sentir sa supériorité et s’interdit ces plaisanteries mordantes qu’il excellait à décocher.

Sur le point de quitter le service militaire, il voulut mettre au courant de ses projets une de ses tantes, dont le mari (Justin Teisserenc), en mourant, lui avait légué toute sa fortune (NDLR.Combefère, Château d'eau, la maison de la Place Alsace-Lorraine à Lodève...). La réponse à cette déclaration fut un cri de surprise et de douleur à laquelle Maurice répliqua en ces termes "Je suis désolé de la peine que je vous fais, et, cependant, à cause d'elle, je ne puis rien changer à mes projets..."

Le 23 avril 1913 il embarque sur "l'Étoile"  à Marseille pour un pèlerinage en terre sainte, de plus de trois semaines, avec escales à Malte, à Port Saïd, au Caire..." A 7 heures, l'Étoile quittait le port dans la pourpre d'un couchant superbe; une brise fraîche nous reposait des chaleurs très fortes du Caire. Quand je suis remonté sur le pont à 8 heures, les étoiles piquaient un plafond de nuit merveilleusement limpide, et je me suis endormi en songeant à la Terre Promise."..."J'ai été terrassé par les souvenirs de la Passion et j'ai pleuré comme jamais plus je ne pleurerai. J'ai prié de tout coeur pour tous, le front posé sur la dalle funèbre où reposa le corps de Jésus crucifié..., pour que tous nous réalisions le plan divin dans une vie pleine et bien chrétienne." Maurice eut le bonheur de visiter les principaux sanctuaires de Judée, de Samarie, de Galilée, il visita Damas, Baalbek, Beyrouth, et revint par Constantinople, Athènes, la Sicile, Naples et Pompéi. Dans une relation sur ce pèlerinage, publiée à Marseille en 1914, sous la signature M.Ch.B, on lit ces lignes : "Le retour des Pyramides au Caire, toujours en tramway, s'effectue gaiement... avec nous cause un jeune homme que je n'avais jamais aperçu : M. Maurice Teisserenc... il est un des garçons les plus complètement charmant que j'aie jamais rencontré : il a tout pour lui, l'intelligence, le coeur, l'élévation de l'âme, la science, l'éducation, l'esprit. Pour une mère, c'est le modèle des fils..., et des gendres."

18 octobre 1913 : départ pour Rome au séminaire français. Un mois plus tard, il écrit"...J'ai beau regarder en arrière, je ne regrette rien. Je m'étais fait, autrefois, une grosse affaire du sacrifice consenti aujourd'hui : tout m'a paru si facile que je me demande maintenant où est mon mérite; je quitte bien peu pour recevoir beaucoup." Néanmoins, coeur sensible, ce n'est pas sans déchirement qu'il avait quitté les siens et bien des fois, au souvenir de ses dix frères et soeurs plus jeunes qu'il avait laissé à Lodève, ses yeux se gonflèrent de larmes. Depuis son départ, la maladie était venue s'abattre sur plusieurs de ses frères; pour l'un d'eux (NDLR.Louis), qui venait de passer l'examen d'admissibilité à l'École Polytechnique , on craignit même un dénouement fatal.

 Au bout de 6 mois, il écrit à son directeur : "...Je suis monté dans mon compartiment tout heureux de quitter Rome... pour quelques jours, pour revoir la France, les miens; j'étais heureux surtout de partir en soutane, afin d'affirmer désormais, partout où je passerais, le don de moi-même à Notre Seigneur et à l'Église... Vous n'avez pas idée de ce que c'est que d'arriver pour le 1e fois en soutane, dans une petite ville, où il n'y a eu aucune vocation depuis six ans, et aucune dans la classe dirigeante depuis cinquante ans...  les rideaux se lèvent pour voir cette grande curiosité : un séminariste à Lodève..."..."Je tiens à vous redire ce que je vous ai dit bien mal et bien vite l'autre jour : tout mon bonheur de ces six mois de séminaire. Ce sont certainement les meilleurs de ma vie..."

Le 30 mai 1914, le vénéré Cardinal de Cabrières conférait, dans la chapelle de Santa-Chiara, la première tonsure à son cher diocésain, ainsi qu'à treize autres élèves du Séminaire. Après la cérémonie, le Cardinal plaisanta agréablement le "jeune mondain" auquel il avait été heureux de couper les cheveux et qu'il chérissait de tout son coeur..." Le lundi de Pentecôte, 1e juin, Maurice eut le bonheur d'accompagner le cardinal de Cabrières à l'audience et d'être présenté au St-Père. L'année se terminait lorsqu'il passa avec succès, à l'Université Grégorienne, l'examen d'hébreu et le baccalauréat en philosophie scolastique. Le 3 juillet, il reprit le chemin de la France; "Je suis content de retourner chez moi, dit-il à un de ses confrères, mais je le serai autant en octobre prochain quand il faudra revenir à Santa-Chiara."...Mais cette vie de fervent séminariste allait subir un brusque et définitif arrêt.

Août 1914 : La guerre : le 1e août, le décret de mobilisation est affiché sur les murs de Lodève. Le 2 août, Maurice jette à la poste, à l'adresse de son directeur, le billet suivant : " Vous m'excuserez, cette fois, de vous écrire très brièvement...Il faut que j'aie rejoint mon corps demain matin avant six heures. Que la volonté de Dieu, toute sa volonté, soit faite ! Qu'il soit béni, si je dois bientôt verser mon sang sur un champ de bataille ! qu'il soit béni encore, si je dois revenir sain et sauf de ce terrible choc. Je laisse ma mère désolée, mais chrétiennement résignée. Mon frère Saint-Cyrien (Hubert) est déjà peut-être dans l'Est sur la ligne de feu. Mon frère  malade (Louis) est toujours bien mal et je doute fort de le revoir, si la guerre se prolonge. Encore une fois, Dieu soit béni, toujours béni, et que sa volonté, toute sa volonté, soit faite. Gloire à Dieu et vive la France ! ". Au moment de quitter la maison, il remet à une de ses soeurs son testament. Son père l'accompagne à la gare quand, le 6 août au matin, les troupes s'embarquent pour le front. "A Mirecourt, écrit-il, où l'on arrive après quarante heures passées dans des wagons à bestiaux, le colonel apprend officiellement que nous avons pris Colmar et que les Prussiens ont eu 22.000 hommes hors de combat." Le 16 août Maurice franchit la frontière, l'ennemi recule, mais par stratégie. Le 142e se bat à Loudrefing. Voici comment Maurice décrit, dans son journal, cette bataille : " Derrière Loudrefing, les Allemands occupaient de fortes positions de tranchées en béton armé, exécutées depuis plus de trois mois. Pour les enlever, il fallait, après avoir pris le village, traverser un petit bois balayé par les obus et un glacis de 1.500 mètres, champ de tir créé par les Allemands pour nous tuer à coup sûr, si nous avions le malheur de nous y engager. Le 142e a reçu l'ordre formel d'enlever ces positions. Le colonel Lamole a fort bien compris qu'on demandait au régiment de se sacrifier héroïquement : il a pris la tête de ses troupes et a commandé : en avant. L'artillerie qui devait nous soutenir n'a pas reçu l'ordre de tirer, car le fil téléphonique qui devait servir à le transmettre, a été coupé par un espion. Le régiment a fait vaillamment son devoir; le colonel est mort d'une balle dans la tête sur la ligne de feu; le lieutenant-colonel qui conduisait l'assaut, un fusil, baïonnette au canon, à la main, a été tué lui aussi; tués dans la même après-midi, le capitaine Douzans, après avoir pris le village, le lieutenant X et bien d'autres. Le commandant Thouvenain est blessé, les hommes ont été fauchés par centaines. Le retour de la 62e brigade  à Bisping à 9h,30, présente un spectacle navrant; les hommes sont éreintés par douze heures de combat sans repos, plusieurs par des blessures qu'on a pas encore pansés. A partir de 10h., les salles d'ambulance provisoire sont pleines et on apportera des blessés encore toute la nuit. L'église aussi est un vaste hôpital. Le régiment a 1.150 hommes hors de combat... J'aide aux distributions jusqu'à minuit; je me couche éreinté sur une planche, dans un pailler..."

A la fin de février, quand la poussée allemande eut été définitivement arrêtée sur l'Yser, le 142e fut envoyé en Champagne, près de Somme-Tourbe, où se livraient de dures batailles et où Maurice sera mortellement frappé par une balle à la nuque, le 23 avril 1915, vers le milieu de la nuit, alors qu'il revenait avec un autre sergent vaguemestre des premières lignes où il avait distribué le courrier.

Les médecins ne dissimulaient pas la gravité du cas mais ont voulu faire tout ce qui était humainement possible. Un cousin de Maurice, M. Jean Diffre, gestionnaire à l’ambulance n° 6 du 16e corps, qui était venu pour assister à l’opération, demanda qu’auparavant on lui administrât l’Extrême Onction ; M. l’abbé Monginoux la lui donna aussitôt.

A ses obsèques le 26 avril 1915, M. l’abbé Sahut après avoir chanté la messe , déclara avec une poignante émotion : "  …Même après neuf mois de campagne où l’on semblerait devoir être blasé par le spectacle quotidien de la mort, la mort de Teisserenc a été un véritable deuil pour le régiment où, par la distinction de ses manières, par l’élévation de son caractère, par une constante affabilité, il avait su gagner l’affection de tous… "

L’allocution prononcée par Mgr Lazaire, le 24 avril 1921, dans la cathédrale St-Fulcran, au service célébré à Lodève à l’occasion du transfert des restes mortels de Maurice Teisserenc se termine ainsi : " Puisse de ces tombes bénies naître pour la France une moisson de gloire, pour l’Église une ère de paix, pour tous des leçons de patriotisme et des exemples de fidélité ! – Amen

C.T. Luynes, le 20.04.2001